Et s’ils constituaient le sel de la relation érotique ?
« On fait beaucoup de préliminaires, mais très peu l’amour finalement. » (phrase prononcée en consultation)
Mais qu’est-ce que faire l’amour, selon vous ? Nous avons toutes et tous une façon de nommer les choses — façon de nommer qui, d’ailleurs, retranscrit notre rapport au monde. Alors, faire l’amour, qu’est-ce que cela veut dire ? Certaines personnes répondront probablement que faire l’amour, c’est lorsqu’il y a pénétration. Eh bien non, pas vraiment ! Reprenons les bases.
Comprendre le script érotique
Qui a dit que faire l’amour était uniquement lié à la pénétration ? Quid des personnes ne la pratiquant pas ? Quid des personnes n’ayant pas de pénis ? Cela veut-il dire que les lesbiennes ne font jamais l’amour ? Est-ce que la pénétration anale en fait partie ? Et la pénétration digitale ou les pratiques oro-buccales ?
Dans son livre « Apprendre à faire l’amour », Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de Philosophie Magazine, vient apporter une teinte philosophique aux traditionnelles conversations autour de la sexualité. Dans un chapitre intitulé « Sur les préliminaires », on apprend la chose suivante : Freud est l’inventeur du concept des préliminaires. Dans l’ouvrage « Trois essais sur la théorie sexuelle », écrit en 1905, Freud y fait référence en expliquant que cela ne relève pas de « l’union des organes génitaux ». Sauf que Freud n’a pas fait que nommer les préliminaires, il a établi le script érotique que l’on connaît actuellement. Ce concept a 120 ans – et dure toujours !
Alexandre Lacroix parle même de « Script Freud Porn », tant les travaux du célèbre psychanalyste ont influencé notre gestuelle érotique et sexuelle. Celle-ci se compose des préliminaires, puis d’une pénétration (de plus en plus rapide) jusqu’à l’orgasme. Vous remarquerez que l’approche est uniquement hétérosexuelle et que le plaisir est avant tout centré sur l’orgasme masculin.
D’ailleurs, au micro de France Inter en août 2022, Alexandre Lacroix précise qu’il s’agit « d’une théorie proposée par des chercheurs américains dans les années 1970, peu connue en France, qui démontre que quand on fait l’amour, on déroule un script, un rapport très attendu et ordonné du sexe que l’on a entretenu de manière tacite avec ses partenaires. À chaque rapport, on sait à peu près ce qu’il faut faire, car tout un schéma ordonné est préalablement tracé, on se laisse guider par un système conventionnel de don et de contre-don ».
Alors comment se réinventer ?
La première chose à faire, c’est de déconstruire le mot « préliminaires » et la vision que l’on en a. En effet, le Larousse définit le préliminaire comme ce qui précède et prépare l’action principale. C’est une vision très centrée sur la pénétration, et très hétérosexuelle.
Et si, au lieu de parler de préliminaires, on nommait les choses tout simplement ? Si l’on parlait plutôt de masturbation, de fellation, de cunnilingus, de caresses, d’anulingus, de jouets érotiques, de sexe oral, de sexe anal ? Vouloir regrouper toutes ces pratiques sous le terme de « préliminaires », c’est nier profondément leurs différences et leur importance.
Un rapport sexuel, ce n’est pas « entrée, plat, dessert ». On peut faire un peu comme on veut, dans l’ordre que l’on veut, on peut s’interrompre, discuter, prendre une douche, manger, boire un verre et reprendre à son gré. Il faut essayer d’envisager le moment sexuel comme un moment de liberté, un moment où l’on peut créer avec l’autre de l’inattendu, de l’imprévu, et non comme quelque chose devant rentrer dans des codes convenus.
Pour répondre à la question initiale, faire l’amour, c’est avant tout un cadeau que l’on se fait à soi et ensuite à l’autre. Ce cadeau, c’est celui d’ouvrir les portes de notre intimité et de partager un moment de plaisir à deux (ou plus). Et ce qui est essentiel à retenir, c’est que chacun et chacune est libre d’associer ce qu’ils et elles souhaitent derrière le mot « plaisir ».
Margaux Terrou, sexologue clinicienne