Un droit fragile et fondamental

Dans le contexte alarmant de la révocation du droit à l’avortement aux États-Unis ou encore de la mise en place en Pologne de l’une des législations les plus restrictives d’Europe qui, depuis octobre 2020, interdit l’avortement même en cas de malformation mortelle du fœtus, revenons sur l’histoire et les enjeux de l’IVG en France.

Tout d’abord, de quoi parle-t-on ?

L’interruption volontaire de grossesse (IVG), qu’elle soit chirurgicale ou médicamenteuse, désigne un avortement provoqué, décidé pour des raisons non médicales. Ce droit a été instauré en France par la loi Veil du 17 janvier 1975. Son délai légal pour y recourir est passé de 12 à 14 semaines d’aménorrhée, depuis la promulgation de la loi du 2 mars 2022.

L’histoire de l’IVG en France en quelques dates clés

Du Moyen Âge à l’ère moderne, les lois entourant l’accès à l’avortement ou son interdiction ont fluctué.  Au Moyen Âge, le christianisme interdit et sanctionne de la peine de mort toute femme ayant avorté ainsi que les personnes l’ayant aidée.

Au siècle des Lumières, l’avortement est toujours interdit mais il n’est plus passible de peine de mort. Jusque tard dans le 20e siècle, l’avortement restera passible d’emprisonnement, notamment pour des raisons natalistes liées aux conséquences de la Grande Guerre et des larges pertes humaines supposées pouvoir être reconstituées grâce au taux de natalité.

En 1942, sous le régime de Vichy, la législation se durcit et l’avortement, déclaré crime contre la Sûreté de l’État, est à nouveau passible de la peine de mort. À ce titre, Marie-Louise Giraud, « faiseuse d’anges » ayant pratiqué des avortements clandestins pendant la Seconde Guerre mondiale, sera guillotinée par le régime de Vichy le 30 juillet 1943.

C’est à partir de la fin des années 1950 que les mouvements féministes pour la légalisation de l’avortement se multiplient. Deux évènements au fort retentissement marqueront le débat public et paveront le chemin vers le droit à l’avortement plein en France :

  • le “Manifeste des 343” en 1971
  • le procès de Bobigny en 1972

Le Manifeste est une pétition qui paraît dans le Nouvel Observateur appelant à la légalisation de l’avortement en France, signé par 343 françaises – dont des personnalités telles que Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir ou Catherine Deneuve – affichant ouvertement avoir avorté et s’exposant ainsi à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement.

Quant au procès de Bobigny, cinq femmes y furent jugées, dont une mineure qui avait avorté après un viol. Le procès, dont la défense fut assurée par Gisèle Halimi, eut un écho colossal et contribua à l’évolution vers la dépénalisation de l’IVG en France, quelques années plus tard, avec la loi Veil du 17 janvier 1975.

Malgré la législation actuelle, l’égalité d’accès à l’IVG n’est pas garantie

Aujourd’hui, malgré ce droit acté, l’accès à l’interruption volontaire de grossesse n’est pas aisé pour certaines femmes, en fonction notamment du lieu de résidence et du niveau social.

En effet, l’accès à l’IVG est limité par une distribution inéquitable des structures de soins sur le territoire français. Le rapport parlementaire de 2020 rapporte des « infrastructures [qui] ne sont pas à la hauteur des besoins dans certains départements, ce qui engendre des inégalités territoriales ».

L’une des problématiques relatives à l’IVG est le délai limité pour y avoir recours. Ainsi, plus il est compliqué de trouver les bons interlocuteurs et les lieux de prise en charge, plus on risque de dépasser les délais légaux. À cela s’ajoute la fermeture de certaines structures ces dernières années – le Planning familial estime que 130 centres d’IVG ont fermé depuis quinze ans.

C’est sans compter “la clause de conscience” invoquée par certains praticiens de santé, ou encore le délit d’entrave à l’IVG dont sont coupables nombre d’organisations anti-choix qui mentent, culpabilisent ou intimident des personnes souhaitant avorter (pour information, le droit français condamne ces actes à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende). Ainsi, même si théoriquement l’IVG est légale, tous ces éléments la mettent à mal.

Ne jamais prendre ce droit pour acquis, ne jamais cesser de militer

Si le droit à l’avortement en France semble solide et installé, nous savons que rien n’est jamais acquis. Le revirement américain doit nous servir d’avertissement. La volonté de certains partis de mettre en place une proposition de loi pour inscrire l’IVG dans la Constitution est une piste. À ce titre, Aurore Bergé (LREM) a déposé le 25 juin une proposition de loi pour faire inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, proposition soutenue par d’autres partis comme la NUPES. Car comme le disait très pertinemment Simone de Beauvoir, « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».

Dans les cercles militants, il est capital de ne pas se laisser enfermer dans le cadre imposé par les personnes se revendiquant contre le droit à l’avortement. Cela commence par le vocabulaire employé. Les groupes militants contre le droit à l’avortement ne sont pas « pro-vie » mais anti-choix. Pensent-ils aux effets et conséquences d’une grossesse non désirée sur la vie des femmes ? Pensent-ils même à la qualité de vie de ces potentiels enfants ? C’est pourquoi il est plus efficace politiquement par exemple d’emprunter le terme de « grossesse forcée ». Imposer aux corps et à la vie de femmes des choix qui ne sont pas les leurs revient à les violenter, les aliéner et les torturer physiquement et moralement.

Il est également important de ne pas mettre l’accent sur les cas les plus terribles, tels que les grossesses faisant suite à un viol ou un inceste. Si parler des cas les plus graves qui valideraient le droit à l’avortement est politiquement compréhensible, les femmes n’ont à justifier de rien, leurs raisons leurs incombent, qu’elles soient dramatiques ou « ordinaires ». Ce droit devrait être inaliénable. Il ne s’agit pas de faire une échelle de légitimité des raisons à avorter : trop jeune, victime d’un viol, pas les moyens financiers, pas l’envie, victime d’inceste… Toutes ces raisons sont valables et aucune d’entre elles n’a à être dévoilée par l’intéressée pour réclamer son droit.  Il s’agit de nos corps, de nos vies, et de la maîtrise pleine et absolue de nos destins.


Illana Weizman, essayiste, journaliste et militante féministe, co-initiatrice du mouvement de la libération de la parole #MonPostPartum

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