Les sentiments d’échecs
En 2019 en France, nous avions plus de 70 % de démarrages d’allaitement à la naissance, avec une durée moyenne d’allaitement de 3 semaines. Mais que se passe-t-il durant ces 3 semaines ? De nombreuses mères racontent et ressassent encore pendant plusieurs années leur échec d’allaitement. On y retrouve, dosées variablement, tristesse et culpabilité mais aussi colère et déception : beaucoup de sentiments qui ne devraient pas ou peu exister autour d’une naissance.
Quelques informations sur l’allaitement maternel
Tout d’abord, posons le constat de base : toutes les femmes ont des seins et des mamelons adaptés à l’allaitement. Et quasiment toutes les femmes peuvent produire assez de lait pour nourrir leur enfant, et ce pendant plusieurs années si elles le souhaitent. Les seules qui ne le pourront peut-être pas sont celles souffrant d’une agénésie bilatérale de la glande mammaire (c’est-à-dire une absence totale du développement de glandes mammaires), mais c’est rarissime. Si tel n’était pas le cas, l’humanité n’aurait pas survécu ! Rappelons que le lait artificiel n’existe que depuis 70 ans… Or, voilà 70 ans que les femmes allaitent de moins en moins en France.
Nous savons aujourd’hui que le seul aliment parfaitement adapté au nourrisson humain est le lait de sa mère. Voici quelques repères :
- Le lait maternel s’adapte en qualité et en quantité aux besoins exprimés par le bébé en fonction du moment de la journée mais aussi de son âge.
- Il permet au nourrisson d’être mis en contact précocement avec tous les allergènes contenus dans l’alimentation de sa maman.
- Il est plein d’anticorps protecteurs…
Et il ne s’agit ici que de quelques avantages nutritionnels.
Durant 70 ans, les industriels du lait artificiel ont modifié le modèle de notre société, et ce même au sein du milieu médical. Le modèle de base du nourrisson n’est plus l’enfant allaité et ses besoins naturels, mais plutôt le mode d’emploi écrit sur les boîtes de lait artificiel. Ce mode d’emploi est issu de travaux destinés à déterminer les durées de digestion du lait industriel mis en présence d’enzymes digestives. Nous nous éloignons donc des besoins naturels du bébé, et cela explique mieux pourquoi nous assistons à tant d’échecs d’allaitement.
Le manque de formation de certains professionnels de santé
Malheureusement et dans la même mouvance, voici de nombreuses années que les professionnels de santé concernés ne sont plus correctement formés sur ce sujet. Lors de ses 5 années d’études, une sage-femme aura entre 5 et 10 heures d’enseignement sur l’allaitement maternel. Un pédiatre, lui, n’aura que 2 heures d’anatomie du sein en cours de lactation en 12 ans d’études. Quant au gynécologue, il n’en entendra parler qu’au hasard de ses pérégrinations dans les différents services qu’il aura fréquentés… Donc, si ces professionnels n’ont eu ni la volonté ni le désir de se former sur le sujet, leurs conseils sont tout aussi justes en termes de pertinence médicale que ceux de votre voisine !
Pour résumer, voici quelques exemples de situations quotidiennes vécues en maternité. Leurs interprétations sont a minima erronées, et au pire préjudiciables pour la qualité de l’allaitement et du lien mère-enfant :
- Un nouveau-né qui ne s’est pas réveillé au bout de 4 heures est suspecté de se laisser mourir de faim.
- Un nouveau-né qui pleure quand on le laisse seul dans son berceau est un enfant qui n’a pas assez mangé.
- Un nouveau-né qui pleure quand on le met au sein est un bébé qui ne veut pas du sein mais préfère le biberon.
Ces interprétations ne sont que le reflet de la méconnaissance des femmes, mais surtout de l’incompétence de certains professionnels de santé en matière de « mode d’emploi du nourrisson ».
Si tous les professionnels avaient ces connaissances, ils pourraient rassurer les femmes et leur dire qu’aucun enfant ne se laisse mourir de faim (nous parlons ici du nouveau-né normal à terme, ayant eu une naissance normale). Ils leur diraient qu’il suffit de le prendre en peau à peau pour stimuler ses réveils afin qu’il demande le sein plus souvent ; car plus on pose un enfant dans son berceau et plus il espace ses réveils…
Ils pourraient également expliquer aux mères qu’un enfant allaité ne sait pas toujours s’endormir et maintenir son sommeil seul. Il peut avoir besoin d’être sur sa mère pour cela, et non dans son berceau. À sa naissance, et comme nous l’explique Ingrid Bayot, un enfant va chercher coûte que coûte à maintenir la « continuité sensorielle transnatale ». Pour résumer, il vient d’un endroit chaud, rond, qui sent le liquide amniotique et qui lui permet de déglutir, et il n’aura de cesse de retrouver ces éléments. Quoi de mieux que le sein de sa mère ?
Ils seraient aussi en mesure d’expliquer aux mamans que leur bébé naît avec ce fameux réflexe de succion. Mais que téter le petit doigt ou une tétine n’est pas comparable au fait de savoir prendre et téter le sein de leur mère correctement, car nos mamelons ne sont pas télescopiques ! C’est donc un apprentissage avec son lot de difficultés et d’échecs mais qui, s’il est bien accompagné, se réglera brillamment – comme le fait d’apprendre à marcher, parler, compter ou lire…
Ces quelques situations ne sont que des exemples, et malheureusement de multiples autres situations relèvent de ces mécanismes de méconnaissance. Nous pouvons ajouter à tout cela que la transmission par les pairs n’existe plus de nos jours.
Nous avons alors quelques petites idées des raisons de ces échecs de mise en place de l’allaitement maternel en France à notre époque. Les femmes ne sont donc pas responsables de ces échecs, car vouloir allaiter peut être aujourd’hui un vrai parcours du combattant !
Quelles sont donc les solutions pour réussir son allaitement ?
Tout d’abord, vous pouvez lire l’article « Comment gérer le démarrage de l’allaitement maternel ? ». Il vous donnera de solides bases afin de préparer cette aventure, et éventuellement d’en éviter les pièges.
Ensuite, il faut garder à l’esprit que, quelle que soit la difficulté rencontrée, il faut d’abord et avant tout maintenir votre lactation. Que ce soit par l’intermédiaire de votre bébé, avec un tire-lait électrique ou bien en drainage manuel, vous devez faire sortir fréquemment et régulièrement du lait de vos seins. Plus vous drainez vos seins, plus ils auront un fonctionnement sain et harmonieux.
Et… vous faire aider ! Il est souvent nécessaire aujourd’hui d’avoir recours à un(e) professionnel(le) de la lactation diplômé(e), et généralement c’est très efficace. Que le problème soit une anomalie de succion, une difficulté dans la mise au sein, une mastite, un début d’abcès, des douleurs dues à des crevasses ou à un canal bouché, ce professionnel pourra trouver une solution avec vous beaucoup plus facilement si votre lactation a été malgré tout maintenue.
Dans quasiment 80 % des cas, le bébé est à l’origine du problème : inutile donc de culpabiliser les mères. L’important est de les aider à trouver des solutions efficaces auprès de personnes compétentes.
Une autre chose importante : il faut prendre en charge la douleur. La douleur épuise et vous mènera tout droit à l’échec. Que ce soit seule ou avec l’aide d’un professionnel, il faut absolument trouver rapidement des solutions adaptées. Personne ne souhaite pleurer de douleur jusqu’à 10-12 fois par jour, même pour la plus juste des causes…
Une dernière chose : il faut bien choisir la personne qui va vous aider. Si quelqu’un vous parle allaitement en mettant des chiffres dans la phrase, arrêtez d’écouter ! Le seul mode d’emploi à suivre est votre bébé. Lui seul sait et peut dire comment il fonctionne. Votre job à vous est de le découvrir, de l’observer, de le coller et surtout, de lui et de vous faire confiance ! Le professionnel ne doit que vous aider à décrypter ce mode d’emploi et à découvrir ce bébé qui est le vôtre.
Charlotte REDON
Sage-femme
Spécialiste en lactation humaine
Vincennes