Comment envisager une nouvelle grossesse après le décès d’un enfant in utero ?

Du fait d’un sentiment de culpabilité provoqué par le décès d’un enfant et de la perte de confiance en leurs capacités à mener une grossesse à terme, les mères ne se sentent souvent pas légitimes à s’imaginer à nouveau enceintes. Pourtant, elles peuvent en avoir très envie et pensent parfois que cela peut atténuer leur peine, mais on observe fréquemment un fort sentiment d’insécurité chez ces femmes.

Quand envisager la grossesse d’après ?

Les psychologues et psychiatres ont beaucoup débattu sur le temps à attendre entre les grossesses. Finalement, on observe qu’il n’y a pas de règles : chez certaines femmes, six mois sera un temps très court pendant lequel elles seront encore sidérées par le décès de leur bébé, alors que d’autres auront déjà réengagé des projets et repris leur vie.

Ce qui est sûr, c’est que la grossesse d’après n’est jamais simple, et ce quel que soit le temps écoulé entre les deux grossesses. Il y a toujours des réminiscences et des réactivations anxieuses liées à la mort fœtale. Les parents craignent une récidive, s’inquiètent par rapport à la viabilité du fœtus, s’autorisent difficilement à s’attacher au bébé.

Avant de commencer à désirer un enfant, il est donc primordial de se questionner sur ses capacités à repasser par une nouvelle grossesse. C’est une discussion qui doit bien sûr inclure le coparent.

Une grossesse teintée d’anxiété

L’anxiété sera souvent au premier plan de la grossesse. Ce stress pourra commencer dès le désir d’enfant, avec la crainte qu’une infertilité « psychologique » s’ajoute au drame déjà vécu. Là encore, il s’agit de signes évocateurs d’une culpabilité et d’une perte d’estime de soi.

En général, les coparents sont également très anxieux. Ils cherchent à protéger leur compagne et revivent des craintes fortes sans en parler, de peur d’augmenter encore le stress de leur partenaire.

Un suivi psychologique est systématiquement proposé dans le cas d’une mort fœtale in utero ou, s’il ne s’est pas mis en place, lors de la grossesse d’après. Or, peu de coparents font cette démarche alors qu’ils sont très légitimes à le faire. Et ceux qui la font ont souvent comme première demande : « Comment puis-je aider ma femme ? » – mais l’enjeu est aussi de les amener à évoquer leurs propres ressentis.

L’anxiété, la difficulté à se projeter et à investir cet enfant pour se protéger d’un nouveau drame et la difficulté à ressentir du plaisir lors de cette grossesse sont fréquemment observées. Il y a moins de rêveries, tout semble figé. Les mères décrivent souvent être dans un état d’hypervigilance.

L’attente de l’accouchement

Les dates anniversaires et le terme auquel l’enfant est décédé sont des étapes douloureuses. Il arrive qu’il y ait un apaisement passé ces dates. Mais généralement, les femmes sont comme en apnée jusqu’à l’accouchement et comptent les jours jusqu’à la rencontre avec leur bébé vivant. Les demandes de déclenchements de l’accouchement sont fréquentes – la grossesse leur paraît très longue, ce qui est difficile à vivre.

Cette sensation est renforcée lorsque peu de temps s’est écoulé entre les deux grossesses. Les mères évoquent donc parfois la sensation d’être enceintes depuis un an et ont des difficultés à différencier leurs deux grossesses, et donc leurs deux bébés.

La question du sexe est également un enjeu majeur lors de cette deuxième grossesse. Certaines sont rassurées si le sexe est différent, d’autres auraient aimé avoir un enfant du même sexe, parfois avec le souhait conscient ou inconscient de retrouver leur bébé perdu.

Elles ont besoin d’avoir la certitude que tout se passera bien pour se projeter et s’autoriser à aimer ce bébé, ce qui leur est difficile à obtenir.

Le sentiment de culpabilité

La culpabilité est donc à nouveau réactivée, car les femmes s’imaginent les répercussions psychiques pour leur bébé de ne pas avoir été assez « porté ». En même temps, elles culpabilisent aussi si elles s’autorisent ne serait-ce qu’un petit peu à être heureuses, à l’aimer, comme si elles trahissaient leur enfant disparu.

Il est fréquent d’entendre que l’annonce et la découverte de la grossesse aient été finalement marquées par des sentiments ambivalents, du fait notamment de cette sensation de trahir l’enfant décédé. Certains parents n’achètent pas de matériel de puériculture car ils sont encore traumatisés d’avoir dû ranger et se séparer des achats effectués pour l’aîné. Certains couples se demandent s’ils doivent réutiliser ou au contraire donner les vêtements prévus pour l’aîné et en acheter de nouveaux.

Le suivi psychologique pendant la grossesse d’après va permettre d’accueillir ces questionnements, ce stress, cette culpabilité et de travailler à ce que chaque enfant soit suffisamment présent, différencié et à sa place. Les parents n’oublieront jamais leur enfant disparu, il faut qu’ils puissent en avoir conscience pour pouvoir ressentir à nouveau de la joie sans culpabiliser.

Les couples ont souvent besoin d’être très entourés par le corps médical. Ils sont rassurés par les nombreux examens, même si cette réassurance ne dure jamais très longtemps. Certains font le choix de changer de maternité car ils ne peuvent revenir sur les lieux symbolisant la mort, d’autres au contraire ont besoin d’être connus de l’équipe qui s’est occupée de leur enfant.

Lucille CLOAREC
Psychologue clinicienne
Saint Cloud

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