Devenir mère est une étape de vie bouleversante, une expérience qui vient reconfigurer l’identité, y apporter de nouvelles couches, en défaire d’autres. Dans ce temps de métamorphoses physiques et psychiques, la sexualité va particulièrement se voir bousculée. Comment l’appréhender de façon sereine et épanouissante sans qu’elle ne devienne une injonction ?

La « charge sexuelle »

Lors de mon rendez-vous des six semaines post-partum avec mon gynécologue, nous discutons contraception. Il me propose de me poser un stérilet en cuivre, je lui réponds que je vais y réfléchir, et que de toute façon, cela ne presse pas puisque ma libido est absolument inexistante. Ce à quoi il rétorque : « Oui mais dépêchez-vous tout de même, monsieur a des besoins ».  Cette petite phrase m’a fait l’effet d’une bombe. Mon mari a des besoins ? Et les miens, de besoins ? Après avoir porté un enfant pendant neuf mois et accouché pendant 30 heures ?

Ce type de réflexion est monnaie courante dans les sphères médicales ou dans l’entourage des individus. Quelle femme n’a pas déjà entendu « Il faut se remettre en selle », « Fais attention, si tu ne le satisfais pas, il ira voir ailleurs », « L’appétit vient en mangeant », etc. ? Toutes ces remarques participent à ce que l’on appelle « la charge sexuelle ».

Dans un article du Monde, Maïa Mazaurette revient sur ce concept : « Devoir conjugal, contraception, injonctions esthétiques… Le sexe, comme les tâches domestiques, n’échappe pas aux inégalités de genre », explique-t-elle. De leur côté, Clémentine Gallot et Caroline Michel, autrices de « La Charge sexuelle », expliquent que la sexualité est l’autre charge mentale des femmes. Que l’on parle de maladies sexuellement transmissibles, de contraception, de désir ou de plaisir, les femmes portent majoritairement ce poids et il est attendu d’elles qu’elles soient compétentes et actives dans ce domaine. Elles ne doivent surtout jamais le laisser en jachère, quel que soit leur état de santé mental ou physique.

Sexualité et post-partum

Durant le post-partum, les femmes sont plus ou moins explicitement incitées à satisfaire les besoins de leur mari, rapidement après leur accouchement. Des témoignages en ce sens avaient été relevés sous les hashtags #PayeTonGyneco et #PayeTonUterus, avec des remarques intrusives et assujettissantes de gynécologues qui encourageaient les femmes à reprendre une activité sexuelle en évoquant le désir du conjoint.

Dans le magazine Néon de février-mars 2020, le sexologue Philippe Brenot énonce que la mère ne doit pas se réfugier dans le lien avec l’enfant et doit « transgresser ». Il dit : « Quand l’enfant arrive, dès le début, il est préférable de recommencer à faire l’amour ou, encore mieux, de ne pas avoir arrêté. »  Ces remarques sont aberrantes. La reprise de la sexualité doit se faire d’abord au rythme de la femme, qui vient de passer par des phases transformatrices physiquement et identitairement. La sexualité, l’amour, le couple relèvent  d’une alchimie fragile, surtout en temps de rééquilibrage comme le post-partum. Peu de femmes ont envie d’être pénétrées quelques jours ou quelques semaines après avoir accouché.

Sur le site du magazine Parents, le témoignage de Stéphanie, 30 ans, maman d’un petit garçon de 6 ans, est retranscrit et commenté par le sexologue Sylvain Mimoun : « Trois jours après mon accouchement, alors que j’étais encore à la maternité, nous avons fait l’amour dans la salle de bains de ma chambre. La demande venait de mon mari, car moi, je pensais ne plus pouvoir. J’avais peur de ne rien ressentir et d’avoir mal, même si je n’ai pas eu d’épisiotomie. Mon mari m’a rassurée en me disant qu’on arrêterait si je ressentais une quelconque douleur ».

Le Dr Mimoun commente ainsi cet épisode : « Le principal risque en refaisant l’amour précocement, c’est que la femme ait mal. Si elle souffre, elle sera réticente à l’idée de recommencer. » D’abord, c’est faux, il ne s’agit pas de se préoccuper uniquement des douleurs physiques potentielles, mais bien de préparation et de maturité mentale pour renouer avec son corps sexuel.

Ensuite, il faut relever que l’époux force la main à la jeune femme en mettant l’accent sur son désir et en lui dictant ses termes : « Si tu as mal, on arrête. » Il n’engage pas avec son épouse une conversation équitable où chacun énonce son ressenti, ses envies. Il ne se préoccupe pas de savoir si oui ou non, immédiatement après avoir mis au monde leur bébé, avec les symptômes que cela implique (utérus gonflé, pertes de sang, etc.), elle est prête à avoir une relation sexuelle.

La sexualité en post-partum et au-delà est une réinvention, et ce sont les personnes dont la maternité va marquer le corps et l’esprit qui doivent mener la danse. Ce temps est le leur, leurs envies et besoins sont prioritaires. Chaque femme est différente et doit trouver les modalités d’une reprise de l’activité sexuelle dans une temporalité qui lui est propre. Renouer avec une vie intime doit se faire en douceur.

Dans le cas où la personne ayant accouché se sent prête, que son désir est présent, techniquement, il est possible de reprendre les rapports sexuels avec pénétration 3 semaines après un accouchement, le temps que le col de l’utérus se referme. S’il y a eu une déchirure, une épisiotomie ou une césarienne, il faut attendre la cicatrisation complète des sutures (en moyenne 6 semaines). D’autre part, si le désir est là mais que le corps tarde encore à revenir à lui, la sexualité ne s’arrête pas à la pénétration : massages, caresses et stimulations externes sont envisageables.

En résumé, la sexualité après avoir donné naissance à un enfant est une aventure dont l’ingrédient premier est le consentement mutuel. Les femmes peuvent y découvrir de nouveaux fantasmes, envies, désirs. Et si tout est fait à leur rythme, la sexualité n’en sera que plus riche et intéressante pour les deux membres du couple.

Bibliographie :
Maïa Mazaurette, « Charge mentale des femmes : la sexualité aussi ! », in Le Monde du 21 mars 2020
– Clémentine Gallot et Caroline Michel, La Charge sexuelle. Désir, plaisir, contraception, IST… encore l’affaire des femmes, First, 2020
– Marius François, « Où va le couple ? », in Néon, n° 75, février-mars 2020
Élodie-Elsy Moreau, « Après l’accouchement, quand reprendre une sexualité », in Parents, avril 2018

Illana Weizman, essayiste, journaliste et militante féministe

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