Avant l’arrivée des outils numériques, le mot écran signifiait en vieux français une clôture. Puis le mot a évolué vers « ce qui protège », qui fait écran, pour aboutir à la notion de cadre et enfin de cadre numérique dans lequel on retrouve aujourd’hui le monde à l’autre bout du doigt… (*)
C’est très progressivement que les écrans sont entrés dans l’histoire. Mais c’est seulement depuis une trentaine d’années que la place détenue par les écrans est devenue si importante – avec son cortège d’effets aussi néfastes que pernicieux. Ainsi, les écrans occupent une place particulièrement importante dans nos vies puisque le temps que nous y consacrons est parfois supérieur à celui que nous consacrons à dormir !
Pourquoi faut-il protéger les enfants des écrans ?
Il est paradoxal que ce qui devait nous protéger ait fini par nous enfermer, et c’est bien sous cet aspect-là qu’il faut aborder la question.
Les écrans, lorsqu’ils sont nocifs, le sont la plupart du temps parce qu’ils nous enferment. En dehors des situations qui nécessitent une attention particulière comme l’épilepsie, les problèmes que posent les écrans sont essentiellement liés au temps que nous passons devant eux. Que remplacent-ils d’ailleurs ?
Dans un premier temps, le sommeil est retardé d’une heure en moyenne après l’utilisation d’écrans. Et ce, à condition que l’enfant ne se laisse pas entraîner par un jeu ou un film « addictif » dont il a bien du mal à s’extraire !
À cet égard, de nombreux adultes souffrent de cette addiction aux écrans. Ils décrivent des nuits entières passées à dévorer des séries ou à jouer à des jeux interactifs dont les partenaires habitent à l’autre bout du monde…
Ces moments devant un écran ont également une influence sur la qualité du sommeil. Ils modifient la durée de ses phases et entraînent des phases de sommeil lent et profond moins longues, ce qui se traduit par un sommeil moins réparateur. Donc, outre l’aspect quantitatif (durée du sommeil moins longue), l’utilisation des écrans induit des conséquences qualitatives (sommeil de moindre qualité, moins réparateur).
Que remplacent-ils d’autre ? Chez les enfants, l’apprentissage lors des premières années se fait principalement à travers les cinq sens et les repères temporels. Les structures cérébrales impliquées dans la psychomotricité sont les premières à arriver à maturation. Les 3 premières années sont donc fondamentales. C’est pourquoi les enfants ne devraient pas être exposés aux écrans avant 3 ans : il s’agit là des recommandations internationales.
Concernant le risque de surpoids, là encore les écrans remplacent bien trop souvent un temps qui, à une autre époque, aurait pu être consacré à une activité physique. Par ailleurs, grignoter des sucreries ou boire des sodas sucrés accompagne plaisamment ces longues heures passées devant l’écran…
Le recul pris sur l’épidémie de Covid permet d’avancer les nombreuses conséquences néfastes observées notamment chez l’enfant : prise de poids, troubles de la concentration pouvant induire de moindres performances intellectuelles… La responsabilité de ces deux fléaux incombe clairement à une consommation effrénée d’écrans associée à une bien moindre activité physique.
Mais grignoter devant un écran, pourquoi est-ce si bon ? Sous son apparente simplicité, cette question contient de nombreuses clés de la prévention de l’addiction aux écrans.
Pour ne pas alourdir le propos par une définition précise de l’addiction, voici deux éléments importants :
- le « craving » (c’est-à-dire le fait de consommer plus d’écrans que l’on ne voudrait, en somme, avoir envie alors que l’on n’a pas vraiment envie) ;
- et le fait de continuer malgré les conséquences négatives connues.
À ce jour, il n’y a pas de consensus sur l’existence d’addiction aux écrans avant l’adolescence. En revanche, dans les expériences comme celle de « Fortnite lag » (les enfants jouent et le jeu s’éteint subitement), certaines réactions mettent en lumière une perte de contrôle. C’est la première étape avant le « craving », l’apparition de conséquences négatives et l’incapacité de maîtriser sa consommation, trépieds de l’addiction.
Comment protéger les enfants des écrans ? Quels sont les bons usages ?
Le Haut Conseil de Santé Publique rapporte que les enfants de 3 à 6 ans sont devant un écran en moyenne 1 h 30 par jour. Les recommandations préconisent :
- Pas d’écran avant 3 ans et 5 ans pour les écrans 3D ;
- Pas d’écran dans la chambre ;
- Pas de télévision au moins une heure avant le coucher (c’est valable aussi pour les adultes !) ;
- Consacrer davantage de temps aux activités psychomotrices ;
- Savoir repérer les consommations excessives et les pertes de contrôle.
L’enfant met en place ses repères spatiaux et temporels à travers les 5 sens et les rituels. C’est pourquoi, dans l’idéal, les écrans sont à proscrire. Toutefois, les tablettes avec une fonction ludique peuvent parfois être proposées. Il est recommandé de débuter l’apprentissage de la régulation des écrans par le choix de programmes adaptés.
Voici quelques dates et quelques repères pour simplifier :
Entre 3 et 6 ans :
- Pas d’ordinateur dans la chambre ;
- Éviter de laisser l’enfant jouer seul à des jeux qui peuvent vite devenir compulsifs ;
- Les ordinateurs et consoles doivent rester un support occasionnel de jeu en famille ou d’’apprentissage accompagné.
Entre 6 et 9 ans :
- La télévision dans la chambre est toujours à éviter ;
- Des règles claires doivent être établies ;
- À partir de 8 ans, on peut autoriser un usage accompagné sur l’ordinateur familial (à paramétrer avec les filtres qui conviennent à une utilisation sécurisée).
Entre 9 et 12 ans :
- Éviter la télévision et l’ordinateur dans la chambre ;
- Déterminer l’âge à partir duquel l’enfant aura un téléphone mobile.
Après 12 ans :
- L’enfant peut utiliser seul l’ordinateur si ce dernier contient les restrictions et le contrôle parental appropriés ;
- Les connexions nocturnes illimitées dans la chambre doivent être proscrites ;
- Les questions du harcèlement, du plagiat et de la pornographie peuvent être abordées selon les niveaux de compréhension de l’enfant.
Ces recommandations permettent de fournir un cadre à une utilisation raisonnée des écrans. Si elles ne sont pas toujours faciles à mettre en œuvre, c’est d’abord parce que votre enfant côtoie d’autres enfants, pour lesquels la réglementation domestique est peut-être plus souple… Mais c’est aussi lié au rapport que nous pouvons nous-mêmes entretenir avec les écrans et à l’exemple que nous donnons à nos enfants.
À cet égard, les très longues stations à la maison en télétravail devant notre ordinateur fournissent un exemple paradoxal aux enfants qui nous regardent. D’où l’intérêt de trouver, si c’est possible, un lieu à part pour s’installer (intitulé « bureau » pour qu’il n’y ait pas d’équivoque !).
Ces recommandations doivent servir de guide et être adaptées aux réalités et aux valeurs éducatives propres à chaque foyer. Si le comportement des enfants change lors de la tentative de mise en place de ces règles, c’est peut-être déjà un symptôme d’une mauvaise utilisation en train de s’installer. Les conséquences sur les comportements que peuvent entraîner les écrans sont parfois difficiles à appréhender et sont souvent source de conflits.
À l’aide des pistes données dans cet article, vous pourrez nourrir votre réflexion et trouver les bons arguments. Prenez le temps d’expliquer à votre enfant les raisons pour lesquelles vous fixez un cadre et des limites, et l’importance de ces règles.
Dr Guedalia Peretz ASSUIED
Pédopsychiatre
Pau
(*) « Projet écrans », Dr Pierre-Emmanuel ROZIER