Le témoignage d’Oranne
Avant, je pensais que ce rôle m’était attribué : celui de la super maman parfaite, comme on peut le voir sur les réseaux sociaux. La maman qui n’est jamais fatiguée et qui ne laisse transparaître aucune tristesse. Aujourd’hui, je sais que j’aurais pu me confier à lui quand ça n’allait pas, ma vision des choses a beaucoup changé.
Je m’appelle Oranne, j’ai 32 ans, je vis à Brest avec mon conjoint et mon petit garçon de 3 ans. Je suis entrepreneur en couture et salariée traiteur.
Pendant longtemps, je n’ai pas voulu d’enfant. Mon mari et moi sommes carriéristes et on se projetait bien sans enfant. Mais une année, alors que nous n’avions pas de projet en cours qui nous animait, on s’est décidés à franchir le cap. Mes proches ont mis 2 à 3 ans à tomber enceintes, je me disais que j’avais le temps. Mais non ! Deux mois après avoir pris notre décision, surprise : j’étais enceinte. J’en étais très heureuse et j’ai eu la chance de vivre une grossesse de rêve, accompagnée d’une super sage-femme !
L’accouchement, lui, a été plus difficile que je ne l’avais imaginé. Pendant les trois premiers mois de grossesse, on stresse toutes un petit peu de l’accouchement mais après on a hâte d’être libérées ! Entre le moment de mes premières contractions et l’arrivée de mon fils, il s’est passé 34 heures. Il descendait correctement, puis il s’est bloqué. Les médecins ont dû aller le chercher avec les spatules : il s’était enroulé dans le cordon ombilical. Heureusement, avec la péridurale, je n’ai rien senti ! On a posé mon fils sur moi, mais avec la fatigue des 34 heures passées et l’émotion, je ne me suis pas rendu compte qu’il ne pleurait et ne respirait pas… Les médecins l’ont pris en me disant qu’ils l’emmenaient pour le nettoyer et je n’ai pas du tout stressé, puisque je n’avais pas conscience de ce qu’il se passait. Mon compagnon étant resté avec moi, lui non plus n’a pas saisi l’importance du moment.
Puis ils nous ont ramené notre fils : il était marqué par les forceps mais tout allait bien ! On n’a su que le lendemain qu’on avait failli le perdre.
Le séjour en maternité s’est ensuite très bien passé. J’étais sur un petit nuage, les professionnels de santé étaient présents et bienveillants, mon mari venait me voir le soir après son travail, tout allait bien.
Mon fils est né fin novembre et mon compagnon étant chocolatier, la période de Noël est l’une des plus intenses pour lui. Je lui ai donc dit que je m’occuperais des réveils nocturnes pour qu’il puisse être en forme. Et si j’ai eu la chance d’avoir un bébé adorable qui ne se réveillait que toutes les quatre heures, je suis sortie de la maternité et j’ai vite été très fatiguée. La journée, j’étais toujours très occupée entre les soins du bébé, le ménage, les courses : je ne dormais jamais pour récupérer. Puis 4, 5, 6 nuits ont passé… Et j’ai commencé à être vraiment épuisée. Je pleurais tous les jours. Je me suis dit que c’était normal, que ce devait être le baby blues, mais ce n’est pas passé.
Deux semaines après l’accouchement, nous avions rendez-vous chez la pédiatre, la naissance de mon fils ayant été difficile pour lui également. Elle m’a reproché de manière très désagréable de ne pas avoir emmené mon fils chez le kiné… J’étais épuisée, je n’arrivais plus à penser à ce que je devais faire. Sur le coup, j’ai vraiment mal vécu la manière dont elle m’a parlé.
La solitude me pesait pendant cette période. Je ne voulais pas recevoir d’amies, le fait de me préparer me demandait un effort supplémentaire : je ne voulais pas qu’elles me voient comme ça. Les cheveux décoiffés, mes kilos en trop, le t-shirt taché… Avec du recul, je me dis que ce n’est pas si terrible et que si c’était à refaire, je les inviterais, je les accueillerais telle que j’étais. On est toutes passées par là ! Et ma famille habite loin… Petit à petit je me suis renfermée, j’ai commencé à avoir des idées noires. J’habite au quatrième étage… Vous pouvez imaginer ce à quoi j’ai pu penser.
On dit qu’on aime son enfant au premier regard, mais ça n’a pas été le cas pour moi. Ce qui a été très difficile pour moi, ça a été le sentiment que mon fils était un inconnu. Je n’arrivais pas à développer de lien avec lui… Quand je le regardais, je voyais les marques des forceps et je culpabilisais. J’avais l’impression que c’était de ma faute s’il avait souffert pendant l’accouchement et s’il en portait encore les traces.
Quelque temps après, mon fils a fait une crise de pleurs un soir. J’étais à bouts de nerfs… C’est encore très difficile d’en parler. En préparation à la naissance, on nous apprend qu’en cas d’énervement, il vaut mieux laisser son bébé pleurer et partir à l’autre bout de la maison pour éviter de faire une erreur. Mais sur le coup, je n’ai pas réussi. J’ai pris mon bébé et je l’ai serré très fort dans mes bras… J’étais en train de craquer, j’étais à deux doigts de le secouer… Puis j’ai réussi à me reprendre, à le reposer et à faire ce qu’on m’avait dit : aller à l’autre bout de la maison. Mais j’avais le sentiment que c’était déjà trop tard…
Dès le lendemain, j’ai pris rendez-vous chez l’ostéo. J’ai essayé d’installer mon fils dans le siège auto mais rien n’y faisait : je n’y arrivais pas. Il ne faut pas faire maths sup pour attacher un bébé dans un siège auto mais je n’y arrivais pas. J’étais épuisée, je ne comprenais pas le système, j’ai craqué en pleine rue. Je n’arrivais plus à arrêter de pleurer et mon fils me regardait de sa poussette sans rien dire. J’ai appelé ma maman qui m’a tout de suite conseillé de prendre rendez-vous avec ma sage-femme. Je trouvais ça bête sur le coup : je pensais que c’était le baby blues et que c’était normal.
Ma sage-femme m’a reçue dès le lendemain. J’avais déjà entendu parler de la dépression post-partum mais je ne savais pas ce que c’était précisément. Je n’aurais jamais pu, par moi-même, mettre des mots sur ce que je vivais. Elle m’a tout de suite dit « Je pense que vous souffrez d’une dépression post-partum », elle a préparé un dossier et j’ai pu être suivie par une psychologue, prise en charge par la Sécurité sociale.
On se voyait deux fois par semaine. Ça m’a fait un bien fou. On a beaucoup parlé et elle m’a prescrit des séances de natation. J’adorais aller à la piscine par le passé mais depuis la naissance de mon fils, je n’y allais plus. Elle me prescrivait donc ce moment qui m’aidait à prendre du temps, rien que pour moi. Je sortais de chez moi, je voyais du monde, ça me faisait du bien. Mon mari était vraiment un super soutien. Il gardait mon fils et quand j’étais fatiguée, il se levait la nuit. Avant ça, je pensais que ce rôle m’était attribué : celui de la super maman parfaite, comme on peut le voir sur les réseaux sociaux. La maman qui n’est jamais fatiguée et qui ne laisse transparaître aucune tristesse. Aujourd’hui, je sais que j’aurais pu me confier à lui quand ça n’allait pas, ma vision des choses a beaucoup changé.
Petit à petit, j’ai commencé à me sentir mieux. J’étais au clair, plus reposée et donc plus encline à interagir avec mon fils. Un jour, alors que je le changeais, j’ai mis une musique que j’écoutais quand j’étais enceinte et j’ai vu qu’il l’écoutait. J’ai pu faire le lien entre cet enfant et celui que j’avais eu dans mon ventre. Ce jour-là s’est créé le premier lien que j’attendais. J’ai commencé à lui chanter cette chanson régulièrement, à jouer avec lui et j’ai eu droit à ses premiers rires. Tout s’est fait beaucoup plus facilement. Les visites chez ma psychologue se sont espacées et on a arrêté de se voir quand mon fils a eu huit mois. Ça allait vraiment mieux !
Je suis encore touchée en vous racontant ça aujourd’hui, alors que mon fils a trois ans. J’ai vraiment eu de la chance d’être entourée d’un super mari et d’une sage-femme très bienveillante.
Je retiens malgré tout qu’il faudrait davantage informer les mères sur cette maladie. J’aurais aimé comprendre ce qu’il m’arrivait, et donc qu’on m’en parle pendant les sessions de préparation à la naissance.
J’espère sincèrement que mon témoignage aidera d’autres mamans. Si vous vous reconnaissez dans mon expérience, je vous en prie : parlez-en ! Ne restez pas seule.