La charge parentale, un bloc bien mal réparti au sein des couples

De lourdes inégalités de genre existent quant à la répartition de la charge parentale chez les couples hétérosexuels — disparités qui se retrouvent également dans la charge domestique par ailleurs. Voyons de quelles façons ce déséquilibre se matérialise et quels leviers mettre en place pour tenter d’y remédier.

Malgré des évolutions dans les représentations, les pères n’en font guère davantage

Le système patriarcal et les assignations à certains traits et postures dit féminins ou masculins (en l’occurrence maternels et paternels) induisent une certaine répartition des différentes tâches accomplies dans le couple. Même chez ceux se vivant comme « modernes », « progressistes » et ayant à cœur une relation équilibrée, des inégalités marquées perdurent.

Les statistiques françaises les plus récentes énoncent qu’en moyenne, 65 % de la charge parentale repose sur les épaules des mères et que cela monte à 71 % quant à la charge domestique. Malgré le roulement des générations et les avancées dans les perceptions sociales, les faits sur le terrain n’évoluent que très peu.

L’image véhiculée dans les médias peut donner l’impression que les combats féministes seraient venus à bout des inégalités, que les pères actuels, contrairement à ceux des générations précédentes, seraient beaucoup plus mobilisés, « déconstruits ». On entend parfois parler de « nouveaux pères » — c’est un leurre.

Comme nous venons de l’évoquer, si les représentations changent et qu’il est aujourd’hui valorisé pour un père d’être impliqué dans la prise en charge des enfants, les statistiques de répartition des tâches ne se décalent que très peu. À l’échelle de la société, les changements de comportements restent infimes.

Il existe même une conséquence nocive à ces proto-évolutions qui tient dans ce que l’on appelle le « dad blessing », lorsqu’un père est congratulé, « héroïsé » pour avoir accompli une tâche en relation avec ses enfants — alors que cela est perçu comme normal et non gratifiant lorsque la même tâche est effectuée par la mère.

Des inégalités existantes dans le couple qui se renforcent avec l’entrée en parentalité

Avant même l’arrivée d’un enfant, il existe certaines charges déjà mal réparties : émotionnelle, sexuelle, domestique si le couple vit ensemble, etc. Avec l’entrée en parentalité, l’inégalité du partage du travail domestique va augmenter, et le travail parental va venir enfoncer le clou.

Il est statistiquement observable que les hommes devenus pères s’investissent davantage dans le travail professionnel, alors que les femmes devenues mères consacrent davantage de temps au travail domestique. Si le partage était déjà inégalitaire, l’inégalité ira crescendo, le rôle du père se réduisant à des interventions limitées dans des domaines spécifiques.

Si elle existe, la participation des pères se portera alors essentiellement sur les domaines traditionnellement privilégiés par les hommes : les loisirs, les jeux, la transmission de la pratique d’un sport ou d’un hobby, etc. Autre point notable, concernant le travail entourant l’enfant comme pour les tâches domestiques, les pères se réservent la possibilité de choisir, donnant ainsi priorité à leurs désirs plutôt qu’aux nécessités parentales. À l’inverse, les mères n’auront le plus souvent pas d’autre choix que de se rabattre sur les tâches répétitives, non choisies.

Pourquoi ces inégalités ?

Nous l’avons dit, ces fonctions genrées proviennent d’une vision patriarcale de ce qui se rattacherait « naturellement » aux femmes et aux hommes. De ces schémas découlent certaines politiques publiques, notamment la répartition des congés parentaux qui vont, le plus souvent, assigner la mère à résidence pendant une période donnée avec parfois un sacrifice sur sa carrière et sa santé mentale.

Même dans les couples sensibles aux questions d’égalité, ces reproductions structurelles se mettent en place. Si la mère vit les premiers mois, voire davantage, avec le bébé du fait de son congé maternité et que le père retourne au travail une semaine après la naissance, c’est elle qui devient l’experte de l’enfant. Des habitudes se mettent en place sur le long terme, bien après la fin du congé.

Les mois, voire les années qui suivent, les rôles genrés se renforcent encore, les pères développant leur carrière professionnelle et gagnant en responsabilités, tandis que les mères s’impliquent davantage dans la vie familiale au détriment de leur carrière. Les mères vont également privilégier le temps partiel pour répondre aux exigences de l’enfant ou aux modes de garde défaillants comme le manque de place en crèche. Bref, elles sont le plus souvent les sacrifiées économiques et professionnelles au moment de la venue d’un enfant et ce retard est difficilement rattrapable par la suite.

Alors même que les femmes travaillent bien davantage que les générations qui les précèdent, qu’elles ont très largement intégré le monde de l’entreprise et sont devenues pourvoyeuses économiques au sein de la famille, elles sont attendues quasiment sur les mêmes standards au foyer. Elles subissent donc bien souvent la « double journée » (travail et foyer) avec les charges matérielle et mentale que cela implique.

Des pistes pour sortir de ces schémas inégalitaires

Une première idée pour vous aider à mieux prendre conscience de la charge parentale de chacun, et ainsi de tendre vers une meilleure répartition, est de créer manuellement un tableau des tâches — ou d’utiliser une application si vous préférez le confort de la numérisation. Il en existe plusieurs sur le marché (Maydée, TipStuff, Pistache, Myfamiliz, etc.).

Dans certains cas, réaliser ce que l’autre fait peut avoir une incidence sur sa propre participation. Un moment clé pour mettre en place ce décompte est le moment où la mère est en congé maternité et que son conjoint reprend le travail. Trop souvent, ces derniers ne réalisent pas le travail abattu à la maison entre l’enfant et la charge domestique. De fait, nos sociétés patriarcales et capitalistes invisibilisent ce travail qui éreinte, prend du temps, et permet aux hommes de générer du capital.

Pour autant, la voie la plus directe vers une réduction potentielle des inégalités parentales reste les mesures politiques, sociales et économiques avec comme fer de lance le congé coparental, une condition sine qua non pour une parentalité égalitaire. L’idéal vers lequel tendre est l’instauration d’un congé maternité et d’un congé coparental à caractère obligatoire et de durée équivalente, afin d’équilibrer la charge parentale qui incombe aujourd’hui très largement aux mères.

Bibliographie :
Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ? − Économie et Statistique n° 478-479-480 – 2015 | Insee
– Égaux face à la parentalité ? Les résistances des hommes… et les réticences des femmes Michèle Ferrand Dans Actuel Marx 2005/1 (n° 37), pages 71 à 88

Illana Weizman, essayiste, journaliste et militante féministe

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