Pendant longtemps, les violences conjugales ont été cachées, niées, passées sous silence. Mais depuis une quinzaine d’années, 5 plans interministériels, dont le Grenelle de 2019, ont permis d’apporter un cadre politique et juridique à ce phénomène complexe. Comment définir les violences conjugales ? Quelles répercussions ont-elles sur la personne victime et ses enfants ? Enfin, quelles sont les prises en charges possibles pour surmonter ces situations ?

Comment définir les violences conjugales ?

Les violences conjugales ne sont pas « le résultat d’un conflit, ni d’un acte accidentel, ni d’une union en difficulté. C’est un comportement qui tombe sous le coup de la loi, c’est un abus de pouvoir dans une relation privée ou privilégiée où l’un des partenaires utilise un rapport de force et de domination pour contrôler l’autre ».

Il ne s’agit donc pas de conflits de couple ou de disputes qui peuvent survenir dans n’importe quelle union. La violence dans le couple, quelle qu’en soit la forme, est interdite par la loi depuis 1992.

Les violences peuvent prendre différentes formes. On distingue :

  • les violences verbales : cris, injures, silences…
  • les violences psychologiques : dénigrement, humiliation, chantage, menaces…
  • les violences physiques : atteintes à l’intégrité corporelle, blessures, brûlures…
  • les violences sexuelles : viol conjugal, harcèlement sexuel, pratique sexuelle imposée…
  • les violences économiques : privation de ressources, interdiction de travailler…
  • les violences administratives : limite d’accès aux droits, confiscation des papiers d’identité et/ou de courriers…
  • les cyberviolences : confiscation du téléphone, harcèlement, « revenge porn »…

Plusieurs formes de violences peuvent coexister et elles augmentent très souvent avec le temps. Les violences peuvent survenir dans n’importe quel milieu socio-culturel et les hommes peuvent aussi être victimes.

Les conséquences des violences conjugales

Les violences ont des conséquences graves sur la personne qui les vit. Ces conséquences peuvent être d’abord physiques : blessures, fractures, infirmités temporaires ou permanentes, troubles alimentaires et digestifs, troubles du sommeil, décès…

De plus, on observe chez quasiment toutes les victimes des conséquences psychologiques, puisque la personne vit dans un climat constant de peur. On retrouve alors des états de stress post-traumatique (avec flash-backs, cauchemars, stratégies d’évitement), des troubles émotionnels (culpabilité, honte, colère), des dépressions réactionnelles, des pensées suicidaires, des conduites à risque, des conduites auto-agressives, un abus de substances psychotropes…

Grossesse et violences conjugales

Les victimes sont majoritairement des femmes et cela peut avoir des conséquences sur leur santé tout au long de leur vie, y compris sur leur santé sexuelle et reproductive.

Chez les femmes victimes de violences, on constate davantage de pathologies gynécologiques, de douleurs pelviennes chroniques ainsi que d’infections urinaires ou de maladies sexuellement transmissibles. Il y a également plus de grossesses inopinées, « forcées », dans les cas de viols conjugaux ou lorsque certains conjoints soustraient la pilule contraceptive de leur compagne.

La grossesse est un facteur déclenchant ou aggravant les violences faites aux femmes. En effet, les femmes sont bien souvent concentrées sur leur bébé à naître et les hommes peuvent redoubler de violence pour conserver l’emprise qu’ils ont sur leur compagne. Il y aurait autant de femmes enceintes victimes de violences conjugales que de femmes souffrant de pré-éclampsie ou de diabète gestationnel.

Ces violences sont également responsables d’une augmentation des complications de la grossesse : fausses couches, vomissements, retards de croissance chez le bébé, prématurité, morts fœtales in utero…

Parentalité et violences conjugales

Les violences ont également des conséquences sur la parentalité. Les auteurs de violences conjugales peuvent vouloir asseoir leur emprise sur l’ensemble de la famille, et non plus seulement sur leur compagne.

Ce sont souvent des personnalités ayant une faible tolérance à la frustration et qui peuvent donc réagir fortement au manque de sommeil et au rythme et besoins soutenus d’un nouveau-né. Ils sont aussi plus en difficulté pour faire preuve d’empathie avec autrui, et donc avec leur enfant. Ils peuvent mettre en place un style d’éducation rigide et autoritaire, et dans 50 % des cas se montrer violents avec leurs enfants. À l’inverse, certains peuvent être permissifs, voire négligents.

Enfin, en cas de séparation, l’enfant peut être instrumentalisé et devenir un moyen de pression pour que leur compagne ne quitte pas le domicile.

Lorsque les mères sont victimes de violences conjugales, elles sont soumises à un stress majeur et adoptent des stratégies de survie ou d’évitement des violences. Elles se décrivent souvent comme moins disponibles psychiquement pendant leur grossesse, puis avec leur nouveau-né. Le stress permanent qu’elles subissent peut avoir des répercussions sur leur état psychique et donc aussi sur leurs interactions avec leur bébé.

Lorsque les enfants grandissent, il leur est parfois difficile de poser des limites face à un père qui se montre, au contraire, très autoritaire. Enfin, elles sont le plus souvent dévalorisées, voire insultées. Elles sont aussi dénigrées dans leur rôle de mère, ce qui va atteindre fortement leur estime d’elles-mêmes ainsi que la confiance qu’elles ont dans leurs capacités parentales.

Les conséquences des violences conjugales sur l’enfant

Tout ceci nous permet de comprendre que les violences conjugales ont aussi un grand impact sur le développement de l’enfant. Même s’il n’est pas directement victime de la violence de l’un de ses parents, il vit lui aussi dans un état de stress permanent.

Ce sont des enfants qui peuvent montrer très précocement des signes d’inconfort et de souffrance. Chez le bébé, on peut ainsi observer des plus petits poids de naissance, des troubles de l’alimentation et du sommeil, des troubles de la régulation émotionnelle (qui sont multipliés par 3 par rapport aux enfants qui ne vivraient pas dans des climats de violence), des troubles psychosomatiques, une hypervigilance ou au contraire un retrait relationnel… On estime un risque multiplié par 2,5 de se voir diagnostiquer une pathologie psychiatrique à l’âge adulte.

On estime que les enfants d’âge scolaire vivant dans un climat de violence conjugale ont 10 fois plus de risques de développer des troubles anxiodépressifs, des troubles psychosomatiques ou des troubles du comportement. 60 % des enfants souffrent d’un état de stress post-traumatique. On peut aussi observer des enfants intolérants à la frustration, qui surinvestissent l’école ou qui au contraire ne parviennent pas à se concentrer et souffrent de difficultés scolaires. Certains peuvent s’isoler et souffrir d’un manque d’estime de soi. D’autres peuvent se montrer agressifs ou développer des conduites à risque.

Un enfant sur 2 serait victime d’une double exposition (témoin de la violence sur son parent, et directement maltraité psychologiquement ou physiquement). Depuis le décret du 23 novembre 2021, les enfants sont reconnus comme co-victimes des violences conjugales.

Quelles sont les prises en charge en cas de violences conjugales ?

La violence est punie par la loi, et la victime doit savoir qu’elle peut bénéficier d’un soutien dans ses démarches administratives et juridiques. Des associations spécialisées sont présentes dans chaque département. Le numéro national 3919 permet une orientation vers les structures les plus adaptées à chaque situation (hébergement d’urgence, conseils juridiques, soutien psychologique…).

De plus en plus d’hôpitaux bénéficient de permanences de ces associations qui peuvent intervenir en parallèle d’un suivi médical ou de grossesse. Ces permanences existent également dans la plupart des commissariats. Les enfants co-victimes doivent être pris en charge précocement et bénéficier d’une prise en charge spécialisée.

Lucille Cloarec, psychologue clinicienne

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